Nous les gens du pays appellons le Gouffre du Huelgoat, quiber ar rompess, kibell ar rampez soit la cuve de la géante
Au XVIe siècle, Eguiner Barou parle d'une géante Aha Il se trouve dans le comté de Cornouaille en Bretagne Armoricaine une ville close, appelée d'après une femme géante^, Aha, du nom de quer-Ahez, ce qui signifie la ville d'Aha."
La princesse Aès résiderait donc près du gouffre, endroit où la rivière d'Argent se "perd" : après une chute de dix mètres, le torrent disparaît sous les énormes rochers dans les entrailles de la terre, là où la fille du roi Gradlon fait jeter ses amants. Au-dessus du gouffre se trouve Kastel ar gibel, le château du gouffre, où l'on dit qu'une belle demoiselle revient chaque nuit attendre son héros. Mais celui qui approche la blanche apparition voit un énorme serpent se nouer autour de son gracieux cou.
Le Serpent celtique. AN AEZROUANT. (Le nom en vieux breton du DEMON et non du Diable ,le Serpent Huant. Arc'houere en breton moderne)
"Ahès breman Mari-Morgan, e skeud al loar, d'an noz a gan, Ahès maintenant Mari-Morgane, au reflet de la lune, dans la nuit chante.
La cascade du gouffre
Nous les gens du pays appellons le gouffre du Huelgoat, quiber à rompess, kibet ar ramzez soit la cuve de la géante
le Camp d'Artus, le gouffre d'Ahès et la mine de Huelgoat, témoignant d'une activité ancienne et d'une mythologie toujours présente. Le camp d'Arthur est l'oppidum le plus important de Bretagne et il y a tout lieu de penser que là se trouvait le centre politique des Osismes préromains, voués au culte d'Arthur, la Pierre.
Le gouffre d'Ahès qui l'avoisine, est l'un des lieux de passage de ce monde-ci vers l'autre. On dit que la princesse — ou la déesse ? — y faisait jeter ses amants. C'était bien évidemment pour leur procurer l'existence dans l'Autre Monde..
Quant à la mine, toute proche, d'où l'on extrait le plomb et l'argent, elle est à la fois le centre nerveux de la région et le site magique des fondeurs. Ils avaient établi leurs ateliers au pied du Castel Guibel, qui domine de sa masse le puits d'Ahès. On peut imaginer qu'ici s'opérait une alchimie tant spirituelle que matérielle.
Huelgoat est en somme la capitale, antérieure à l'occupation romaine. On ne manquera pas d'être surpris par la longue place qui ressemble plus à un forum qu'à la place centrale d'un village breton, par l'ensevelissement de l'agglomération, tel qu'on ne la voit de nulle part, contrairement aux habitudes des paroisses d'Armorique. La ville est sous la protection du camp d'Arthur..
L'environnement mérite toute notre attention. La longue étendue de marécages qui s'étend au nord et à l'ouest de Huelgoat, jusqu'au pied de la ligne de montagnes qui barrent l'horizon, sert non seulement de protection militaire à toute attaque venue de ces directions, mais de plus de frontière avec l'Autre Monde. C'est ici proprement, selon la tradition, la Porte des Enfers. C'est ici qu'erre le chien noir et que les ramasseurs d'âmes parcourent la lande. Point de vision chrétienne de l'Enfer, pas de diable, ni de feu, mais la vision froide de terres inondées où la terre et l'eau se confondent..
Gwenc'hlan Le Scouëzec Arthur, roi des Bretons d'Armorique Le roi des Pierres
Le Serpent celtique. AN AEZROUANT (Le nom breton du DEMON ,le Serpent Huant)
Les représentations de créatures ophidiennes sont nombreuses dans l'art de la Gaule, sculptures datant le plus souvent de l'époque gallo-romaine mais exprimant des conceptions parfaitement gauloises en liaison avec la religion (Eambrechts, 1942, 45-63). Les colonnes du « dieu à l'anguipède » montrent, sous un cavalier divin et son cheval, un personnage à tête et tronc d'homme mais dont les jambes se terminent en forme de serpent. De nombreuses statues et statuettes associent également à l'image des dieux et des déesses celles de serpents (parfois cornus, assez souvent à têtes de bélier: signes d'une force spéciale) (Deyts, 1992a, 37-45 ; Eacroix, 1997, 71-73 et sept planches d'illustrations). Cette richesse d'évocation n'aurait-elle eu le moindre écho dans le domaine linguistique ? On a longtemps pensé qu'aucune trace lexicale concernant l'animal ne pouvait se retrouver, passée ou présente (Dottin, 1927, 97-98).
Christian Guyonvarc'h, cependant, a montré que le mot de VOUIVRE, conservé dans certains dialectes pour nommer un serpent, remontait très vraisemblablement à une origine gauloise (Le Roux et Guyonvarc'h, 1986, 392). Sa remarque, perdue dans un gros livre, semble être longtemps demeurée inaperçue des analystes.
Il n'est pas impossible que cet appellatif se soit fixé dans quelques microtoponymes : Roche à la VUIVRA, Combe à la VUIVRA, Fontaine à la VUIVRA (canton de Neuchâtel) ; Grange de VOUIVRE, Saut de la VOUIVRE (Franche-Comté) ; Pierre de VAIVRE (Jura), Pierre de la WIVRE (Saône-et-Loire), Theurot de la WIVRE (Mont Beuvray, Nièvre), etc. (Lacroix, 1997, 57-59). On rencontre surtout le terme de VOUIVRE employé dans de nombreuses légendes de serpents fabuleux, qui se sont développées à l'intérieur des anciennes provinces, d'abord transmises oralement, puis fixées par l'écrit. Celle attachée au Mont Beuvray raconte comment la pierre du Theurot de WIVRE cacherait un trésor que la VOUIVRE ouvrirait et étalerait au soleil le jour de Pâques. Sous différentes variantes dialectales : VUIVRE, WIVRE, W1VROT, VOUWRA, VIVRE, VIVE..., le nom commun de la VOUIVRE se garde essentiellement dans la Bourgogne (Côte-d'Or, Nièvre, Saône-et-Loire) et la Franche-Comté (Doubs et Jura) ; de façon plus sporadique en Lorraine (Meuse) et dans le Centre (Allier et Loire) ; aussi en Belgique et en Italie du Nord (Val-d'Aoste) ; et enfin, de manière assez affirmée, en Suisse (von Wartburg, XIV, 1961, 487-489; Perrot, 1979; Michelin, 1980; Schùle, 1982). L'aire globale d'emploi du mot se révèle parfaitement correspondre aux zones de peuplement et d'influence celtiques : le terme n'est pas signalé dans une seule région qui n'ait été jadis occupée par les Gaulois. En France, on le trouve surtout dans des zones ayant connu une celtisation forte ou prolongée.
On remarque qu'à côté des formes en V-, développées dans de nombreuses variantes du mot, ont aussi existé des formes en G-: CUIVRE, GUIBRE, GIBRE, GIVRE. À date ancienne, VOUIVRE et GUIVRE se rencontrent indifféremment dans un même texte pour nommer un serpent fabuleux. Le mot à initiale en G- a fini par se spécialiser en héraldique (nommant, depuis le XIVe siècle, le gros serpent tortueux représenté sur des armoiries et des bannières) (Quemada, IX, 1981, 609; XVI, 1994, 1335). Depuis fort longtemps, les linguistes rapportaient le nom de la VOUIVRE à un latin vipera. Mais la présence des formes en G- ne pouvait être justifiée par l'évolution normale du mot latin. On a donc pensé à l'expliquer par une influence germanique (solution que le dictionnaire de von Wartburg déclare seulement « peut-être » envisageable) (von Wartburg, XIV, 1961, 488). Cependant, les langues celtiques connaissent bien l'alternance V-/G- (phénomène observable aussi bien de nos jours qu'au Moyen Âge et qu'à la période antique) (et déjà constaté par le linguiste allemand Friedrich Diez dans sa Grammaire des Langues romanes, publiée en 1874-1876) (Fleuriot, 1978, 80; 1979, 294-295; 1980, 71). Pour Léon Fleuriot, spécialiste des langues celtiques, « l'évolution de [u>-] initial en [gw-] représente [une] tendance du celtique continental tardif» (1978, 80). L'auteur cite toute une série de mots d'origine gauloise à son initial [w-] qui ont normalement abouti en français à des noms commençant par V-, W- ou G-. *Wadana, « eau », explique GUENILLE; *warna, « sapin », a donné dans les dialectes GARNE, VARGNE aussi bien que WARNIE; *u>olammo, « faucille », a créé VOLAN(T) et les formes dialectales VULAMP et GULOM; *u>aspa est à l'origine de GASPILLER, etc. (Fleuriot, 1978, 80). Tandis que dans les zones urbaines de forte romanisation les anciens mots celtiques se pliaient à une évolution de [w-] à [v-] (comme les mots d'origine latine), dans les régions reculées le traitement de \w-\ devenant [gw-] se serait développée (avant de se propager ailleurs). On peut penser que le terme de VOUIVRE a fait partie de ces mots dialectaux très développés dans les régions reculées : Alpes suisses, Jura, Nièvre (il a pu gagner plus tard la Côte-d'Or et la Saône-et-Loire).
Selon Christian Guyonvarc'h, VOUIVRE doit remonter à un modèle gaulois *wobera (Le Roux et Guyonvarc'h, 1986, 392): on reconstituera une évolution *wovera, *wovra, *wovre, puis woevre et enfin wuivrel vouivre (comme cuèvre, issu de cupreum, a fini par donner cuivré} (Lacroix, 1997, 78-79). *Wobera serait donc apparenté au thème celtique *woberol*wabero qui a abouti par ailleurs à des appellations de cours d'eau souterrains ou de forêts humides comme VAURE, VAVRE, VÈBRE, VÈVRE, VAIVRE, VOIRE, VOIVRE, VIÈVRE, etc., connues dans des noms de lieux et des termes dialectaux (Loth, 1917; Dauzat, I960, 110-115; Vincent, 1937, 104-105). Le thème du serpent est bien sûr voisin du thème de l'eau. On voit parfois une couleuvre nageant sur l'onde, ou un petit serpent habitant les lieux d'une source. Mais surtout, le serpent qui ondoie devient facilement métaphore de l'eau qui coule (Victor Hugo évoque, dans La Légende des Siècles, « Les flots [qui] le long du bord glissent, vertes couleuvres. ») (« Les pauvres gens », v. 38, éd. Cellier, 1967, II, 302). Le radical -ber- à l'origine de *wabero ou de *wobera est rapporté le plus souvent par les linguistes à un indo-européen *bher-, « porter » et aussi « se remuer avec force », « bouillonner », « ondoyer », « couler » (Pokorny, 1959, 132-133; Lacroix, 1997, 82) (Xavier Delamarre préfère partir de la racine celtique *berv- qu'on retrouve dans le vieil-irlandais berbaid, « il bouillonne », « il brasse ») (2003, 325). La VOUIVRE comme la VÈVRE ont été regardées comme des « formes ondoyantes », qui « s'agitent » capricieusement. Les représentations sculptées de la Gaule expriment le lien du serpent à l'eau : une partie importante des sculptures montrant un serpent a été retrouvée aux lieux de sources sacrées ou de sanctuaires d'eaux (comme Luxeuil, Sainte-Valdrée, les Sources de la Seine, Vichy...). Sur certaines figurations, on voit que bizarrement l'appendice du reptile prend la forme d'une queue de poisson; il était donc relié au monde aquatique (ainsi à Curgy, en Saône-et-Loire, ou à Lantilly, en Côte-d'Or) (Lacroix, 1997, 81, 83-84, et planche, 81).
Dans tous les cas — Jules Toutain l'a souligné le premier —, le serpent n'était pas perçu mythiquement comme un ennemi dangereux (il ne pouvait l'être que pour quelques mortels imprudents, peut-être). C'était un compagnon précieux de la divinité dont il entourait fidèlement le bras ou le torse (Toutain, 1920, 210 et 267; Lacroix, 1997, 100). Des dizaines de représentations sculptées en font foi, renforcées par plusieurs trouvailles récentes (Deyts, 1998, 42, 47, 71, 72, 87, 88, 89, 90, 99, 144-145). Enfermées sous le sol (*voberà), encore non manifestées, existaient des forces qui préparaient de nouvelles vies. Le serpent en était l'emblème. Il savait périodiquement se dépouiller de sa vieille enveloppe, faire « peau neuve ». Et on le voyait réapparaître des profondeurs où il semblait avoir disparu. Il était l'allégorie des énergies vitales de l'univers : l'image de la richesse des eaux « serpentant sous » le sol (telle est bien l'étymologie du mot VOUIVRE), trésor divin et souterrain d'une création toujours au travail, dispensant sans cesse ses richesses aux hommes. Aussi sur les sculptures gallo-romaines, la divinité tenant le serpent d'une main tend parfois une bourse ou un torque d'or de l'autre main; ou bien, accompagnée du serpent, elle arbore bracelets, collier ou diadème (Lacroix, 1997, p. 95-98, et pi., 94, 96).
Cette conception gauloise du serpent — tout à fait originale — va marquer la mémoire des images et des mots. Sous le nom catalyseur de VOUIVRE se développeront tout au long des âges des légendes de serpents. Elles montrent une créature ophidienne fabuleuse, gardienne d'un trésor souterrain, portant sur le front une grosse pierre précieuse ou une couronne sur la tête, qui aime venir hanter le bord des eaux, où elle pose ses bijoux un instant. Un humain peut vouloir s'emparer pour lui seul de toutes ces richesses ; il court un risque mortel, mais la réussite est possible dans certaines circonstances. On constate que curieusement se retrouvent le même lien à l'eau, le même caractère chthonien, le même rapport à l'idée de richesse que ceux exprimés à l'époque gauloise. Il est troublant, du reste, que soit attestée déjà à l'époque gauloise une légende aux thèmes très voisins. Pline rapporte qu'en Gaule on verrait l'été des serpents se rassembler, s'enlacer, mêlant leurs sécrétions et finissant par former une boule, appelée œuf de serpent. Cet œuf, possédant la propriété magique de flotter contre le courant (même attaché à de l'or), aurait été recherché comme un trésor par les druides qui le tenaient pour un talisman. Il fallait le recueillir très rapidement et s'enfuir à cheval afin d'empêcher la poursuite des serpents (Histoire naturelle, XXIX, 12, 52, éd. Ernout, 1962, 37). Or une légende connue à Jouy-le-Potier (Loiret) rapporte que « tous les reptiles de la région [...] se rassemblaient le 13 mai de chaque année autour d'un étang proche du bourg [...]. Ils s'entortillaient, formaient un gros diamant qu'ils jetaient ensuite à l'eau » (cité par Audin, 1978, 610) (voir aussi les légendes rapportées par Renardet, 1970, ch. XII; et le conte berrichon relaté par Chevallier, 1983a, 315).
Le christianisme s'emploiera à dévaloriser ces images mythiques des anciennes populations païennes. Les légendes seront contaminées : le serpent y deviendra image du mal. Le mot de VOUIVRE subira progressivement une déchéance sémantique, linguistique : il finira par être cantonné dans les dialectes, resserrant son aire d'emploi à quelques régions. Le mot serpent, tiré de façon tardive du latin, le remplacera peu à peu dans son emploi générique; et VOUIVRE ne désignera plus que l'être ophidien lié aux vieilles superstitions. Les formes GUIVRE ou WUIVRE, employées comme adjectif, prendront enfin le sens d'« excitable », de « méchant », de « médisant » (von Wartburg, XIV, 1961, 488). On sera alors au plus loin du serpent gaulois, « génie des profondeurs », et de son rôle bénéfique majeur (Corrocher, 1985,
La VEVRE et la VOUIVRE ont aussi en commun de connaître toutes deux le monde souterrain. Le serpent par tout son corps touche le sol; « il pénètre [...] dans ses cavités, s'enfonce dans ses boues, dans ses sables et dans ses eaux » (Duval, 1976, 38), se glisse dans ses failles et ses fentes. L'eau, quant à elle, est une production chthonienne. Avant de sourdre, étonnante, inexplicable, comme un serpent qui jaillit, elle s'est frayé un long chemin dans l'obscurité, a parcouru tout un itinéraire secret, monde auquel l'homme ne peut avoir accès. Le terme *wobero ou *wabero a d'abord produit en Gaule des hydronymes correspondant à des ruisseaux souterrains, à des petites rivières cachées : eaux coulant sous la prairie, sous le bois, encore à demi prises dans le sol (VAVRE, VOSVRE, VOIVRE...). Les populations n'ont pu qu'être frappées par le mystère des eaux, forces agissantes qui travaillent dans l'obscurité, et les comparer au mystère glissant et secret des serpents. De là est venue toute la force du symbolisme.
Ce caractère chthonien et nocturne se lit sur les bas-reliefs gallo-romains. Le serpent y est assez fréquemment l'attribut de CERNUNNOS, divinité liée au monde souterrain, représenté assis en tailleur (dans une posture qui place son corps en contact avec les forces telluriennes, tout comme le serpent qui, rampant, reste toujours en communication avec la terre). Dans plusieurs sculptures, le serpent montre une queue directement engagée dans le sol (ainsi à Néris) ; et l'anguipède est montré souvent à demi engagé dans le sol ; parfois même la tête seule dépasse (Lacroix, 1997, 88, et pi., 90 et 96). Le nom de la VOUIVRE garde en son début l'ancien préfixe gaulois vo- pouvant signifier « sous », « au-dessous » (Pokorny, 1959, 1106). Le monde inférieur se reliait pour les Gaulois aux agissements obscurs de puissances divines : ils percevaient bien souvent l'au-delà comme un au-dessous.
L'homme sauvage fait le grand écart et tient ses jambes ouvertes avec ses mains sablère dans la Chapelle Notre Dame des Cieux.
Les noms d'origine gauloise la Gaule des dieux Jacques Lacroix édition Errance 2007
Nos légendes huelgoataines ne sont pas celles qu'on colporte aux touristes.
Fañch Guillemin. Le sorcier de Kermaria au Huelgoat «De son livre: Les sorciers du bout du monde- 1988
Nous passons bientôt près du « Gouffre », où la Rivière d'Argent tombe en cascade et disparaît sous les rochers et les arbres. Ce lieu inquiétant nous fait toujours un peu frémir, car de temps à autre un pauvre diable s'y jette pour en finir avec l'existence.
D'autres y tombent par imprudence, mais nul n'en sort jamais vivant.
Le « Gouffre » est dominé par une butte abrupte et très élevée sur laquelle se dressait autrefois un château-fort : Kastell-ar-Gwibel. et la légende raconte que Dahut la diabolique fille de ce bon Gradlon, premier roi de Cornouaille, venait parfois dans ce donjon pour y passer des nuits d'orgie. Puis au matin, comme dernière jouissance, la perverse créature faisait lier et jeter du haut de la tour, dans le « Gouffre », son amant de la veille. Un souterrain secret relierait, dit-on aussi, le fond du « Gouffre » à l'antique cité d'Ys, engloutie à tout jamais sous les flots de la baie de Douarnenez. Je l'ai longtemps cherché, ce tunnel fabuleux, étant enfant, et suis seulement parvenu à découvrir qu'une galerie naturelle peu connue, permettait de descendre tout en bas, au pied de la chute, comblant ainsi en partie mon goût du merveilleux.
Dédé Trévidic nous explique que les cadavres sont entraînés par le courant dans un siphon, avant de déboucher dans une grotte large et spacieuse où ils tournent continuellement dans les remous, ne pouvant en sortir, car la seule issue, d'ailleurs trop étroite, est située tout en haut. Cette caverne inondée a été macabrement baptisée La salle de danse du Gouffre ».
Les pompiers de Huelgoat, après avoir détourné le cours d'eau, y ont pénétré une fois, à la demande d'une famille, pour rechercher le corps d'un suicidé qu'ils ont d'ailleurs retrouvé en compagnie d'autres ossements d'inconnus.
..Quelques centaines de mètres plus bas, la rivière reparaît à la lumière du jour et s'élargit, formant la Mare aux Fées où il ne fait pas bon s'aventurer au clair de lune. C'est là, selon les anciens, que les « lavandières de la nuit » viennent effectuer parfois leur lessive funèbre. Si vous les rencontrez, elles vous demanderont sûrement de les aider à tordre leurs draps mouillés. Alors prenez garde !
Il faut connaître le « truc ». Car il y a toujours un « truc », bien entendu. Celui-ci consiste à tourner toujours le drap dans le même sens que votre partenaire, malgré ses sarcasmes et ses protestations. Et si vous suivez ce conseil, vous aurez la vie sauve. Mais si par malheur et ignorance, vous tordez le drap en sens contraire, comme on le fait habituellement, alors ce drap sera votre suaire. Vous ne pourrez plus le
lâcher, et la lavandière maudite vous arrachera les bras et la vie sans
pitié.
Mon père, travaillant un jour près de cette Mare aux Fées, y
trouva un avant-bras humain en état de décomposition avancé. Peut-être s'agissait-il du membre d'une infortunée victime des « lavandières » ; ou peut-être aussi d'un morceau échappé de la « salle de danse » où les cadavres mènent un ballet perpétuel, rythmé par le grondement de la cascade.